Pythona L'homme pressé Arthur rectifia d'un coup de gomme nerveux la dernière vignette de la planche. Son héroïne hurlait, le visage tendu relié au contour blanc de la bulle remplie d'effroi où l'on pouvait lire en caractères gras mais hésitants : "Mon Dieu ! qu'ai-je fait !" Satisfait de cette version de la maquette, Arthur l'emmènerait lundi chez son éditeur. Son métier de dessinateur de B.D lui permettait de vivre modestement, mais selon son gré ; il espérait que le troisième album des aventures de "Pythona" se vendrait aussi bien que les deux premiers. Le récit de ses BD transportaient le lecteur sur des terrains décalés, s'inspiraient pour une grande part des errements d'un univers sensuel et singulier. Pythona, grande femme brune aux formes amples, créature caméléon aux pouvoirs étranges, aimait les hommes à sa manière, c'est à dire d'un amour qui leur était fatal. Arthur avait lancé un privé à ses trousses, mais ce dernier n'était jamais parvenu à élucider les accouplements macabres de Pythona. Il avait simplement déploré la mort de partenaires malheureux par une suffocation lente, ne s'apparentant à rien de connu jusqu'alors, selon l'autopsie. Il ne s'agissait pas de strangulation, ni d'obturation des voies respiratoires par le nez ou la bouche, mais plutôt, d'une agonie due à une longue et étroite étreinte, comme si le corps entier des victimes avait été confiné dans un espace qui ne leur autorisait plus de respirer ni d'irriguer leurs artères. Pythona et son poursuivant se retrouvèrent face à face à plusieurs reprises, lui, subjugué par l'allure reptilienne de sa démarche et les rondeurs musculeuses de la silhouette de cette femme qu'il voyait à chaque fois s'éloigner, la panique inscrite sur le visage, elle, redoutant de se faire prendre en flagrant délit, fuyant dans un accoutrement précaire. Pythona ne tuait pas par vice, mais malgré elle ; c'était le tribut qu'elle devait à des orgasmes dont elle ne pouvait se passer. Elle était horrifiée des issues tragiques de ses coïts. Le troisième volet mettait aux prises Pythona et le détective privé, qui avait entrepris de la séduire et de découvrir en s'efforçant de rester vigilant dans l'abandon charnel, le mystère de ces étreintes mortelles. Arthur vivait seul dans un studio exiguë du centre ville. Lorsqu'il se sentait d'humeur cafardeuse, il pouvait descendre dans un des bars qui se trouvaient en bas de chez lui, et il n'était pas rare qu'il ramenât dans son lit une fille rapidement connue. Aussi bien, il n'était pas triste de rester de longs mois sans conquêtes, son travail le projetant dans l'univers de ses rêves érotiques dont il chérissait la saveur violente et personnelle. Ses compagnes éphémères comblaient ses désirs lorsqu'elles étaient de grande stature et à la croupe fournie, assise sur des cuisses généreuses et opulentes. Etre dépassé d'une tête par une femme (Arthur était de taille modeste) ne le dérangeait aucunement ; bien au contraire, se sentir petit auprès d'un vaste corps à la souveraine inertie et aux immenses courbes moelleuses, le conduisait au plus fort de l'extase. Les planches inachevées de ses albums intriguaient quelquefois les femmes qu'il invitait chez lui, mais il éludait habilement leurs questions, lorsque ses maîtresses le harcelaient après l'amour, recouvertes des écailles que son désir pétrifié avait déposé en haut de leurs cuisses formidables et goulues. Il ne lui semblait pas utile de préciser les trames obscures de ses albums. *** Anna passa délicatement ses mains, puis ses avant-bras sous le flanc de la panthère noire. Ses pattes pendaient librement et les coussinets glissèrent sur le glacis de la cage sans un bruit, lorsqu'Anna déposa sur le sol l'animal endormi dont la tête était soutenue par le directeur du zoo. Le père d'Anna était, depuis qu'il eut l'age de travailler, un employé du zoo et possédait une villa à proximité des animaux. Les nourrissant simplement au début, il était aujourd'hui leur gérant. Il mettait à profit ses connaissances de vétérinaire pour renouveler la population du parc, s'occuper des vaccinations et des soins de routine. C'est à lui que le zoo devait l'arrivée de cette superbe panthère, obtenue après maintes tractations et prospections en Afrique. Anna avait grandi aux côtés des animaux, aussi, lorsqu'elle eut son bac, elle s'orienta tout naturellement vers des études de vétérinaire, suivant le chemin de son père. Le directeur l'avait engagée, avec le souhait qu'elle remplace un jour son père. Elle adorait, depuis le jour où son père l'avait autorisée à l'accompagner, parcourir les enclos et les cages pour donner à manger aux bêtes. Les premiers temps, il lui permettait de pénétrer prudemment dans l'enclos des volatiles, une salade dans une main, l'autre l'effeuillant et lançant les feuilles vertes aussitôt cueillies par des becs affamés. Elle aimait entendre les oiseaux lorsqu'ils l'accueillaient, plus de cent mètres avant qu'elle n'entre dans la volière. Ils secouaient l'air de leurs ailes et émettaient des cris joviaux afin qu'elle ne les oublie pas. Ce fut lorsqu'elle eut dix-sept ans que son père l'autorisa à prendre en main les lourds quartiers de viandes pour les jeter au delà de la fosse remplie d'eau, en direction des grands fauves. Elle était devenue plus grande et dépassait largement son père, elle pouvait même envoyer les quartiers plus loin que son père de sorte que les félins affamés déchiquetaient d'abord les morceaux que leur donnait Anna, plus proches de leur territoire de paresse. Elle put également nourrir les panthères qui demeuraient dans des cages : là où une fosse de cinq mètres de large dissuadait lion et tigres de s'échapper, il fallait beaucoup plus de sécurité pour les panthères. Anna leur glissait leurs repas par une trappe ménagée dans le bas du solide grillage. Elle avait toujours redouté dans le passé, le moment où elle regardait son père s'approcher de l'animal, feulant et attaquant la grille par des coups de pattes rapides et souples, le menaçant de ses griffes parées de l'éclat de la mort. D'une main il entrebâillait la trappe, et de l'autre, il devait lâcher aussitôt le morceau de viande, avant que sa main soit entraînée sous la grille et offre un extra au repas du prédateur. A présent, elle se livrait à ces gestes rituels, solitaire et calme, et les panthères semblaient apaisées par sa grande silhouette, sentant sans doute une rivale hors de portée. Elles plantaient leurs griffes dans le morceau de viande, d'un seul coup de patte résigné, sans histoires. Elle passait de longs moments à observer les fauves immobiles, accoudée à la barrière, au travers du rideau d'acajou de ses cheveux, mais elle regrettait de ne pas pouvoir partager un contact physique avec eux. Les habitants du zoo qui la fascinaient le plus étaient les pythons, il y en avait quatre, dont un de près de sept mètres. Si les autres, plus modestes se contentaient de manger des poules, on donnait de temps en temps à celui-ci un cochon vivant. Ces grands prédateurs silencieux devaient être gavés de proies vivantes car sans la mise à mort préliminaire, ils ne s'alimentaient pas et dépérissaient. Anna se passionnait pour ce spectacle, n'en ratant pas une miette, les yeux écarquillés. Le cochon peureux se retrouvait en quelques secondes entouré des puissants anneaux formés par le corps du python. On ne pouvait alors distinguer que ses pattes postérieures et sa tête, qui échappaient à la lente et progressive étreinte. Puis, après quelques minutes de ce sombre enlacement, le lourd serpent se déployait, alors même qu'il engloutissait dans sa bouche à la mâchoire distendue, sa victime suffoquée qui déformait son corps en progressant dans le tube digestif. Cette mort immobile et feutrée attirait Anna depuis toujours, cela lui semblait être comme une lente immersion dans un sommeil définitif. Un jour, elle décida même de s'introduire dans la cage de verre du grand python, ne pouvant réprimer l'envie de sentir les lourds replis froids se lover autour de son corps. C'était quatre ans auparavant, elle s'estima alors assez forte pour se dégager de l'étreinte qui aurait pu devenir mortelle. Elle pénétra par la trappe de verre, vêtue de ses seuls dessous, afin de bien sentir le corps de son partenaire sauvage. L'animal sembla la reconnaître, mais ne s'intéressa pas à elle : sa nourriture vivante habituelle n'était pas là. Elle s'allongea lentement sur le serpent qui ne broncha pas. Elle s'endormit même, dans l'atmosphère chaude et humide de la cage. Lorsqu'elle s'éveilla, ignorant combien de temps s'était écoulé, ses hanches étaient déjà étroitement prisonnières, entourées par le corps du reptile, énorme, souple et vigoureux. Avec lenteur, sans brutalité, la tête du lutteur ambiguë se faufilait sous elle, pour resurgir en ayant enlacé d'un tour de plus le buste d'Anna. A présent, des genoux aux épaules, elle était enrobée, exceptés ses bras qu'elle avait prudemment dégagés pour pouvoir atteindre la tête du reptile. Anna se sentait bien, serrée, choyée d'une éreinte ferme et douce qui ravissait ses sens. Tant de puissance autour d'elle l'excitait, sa respiration était légèrement entravée, mais cela lui plaisait. Elle s'imagina qu'on devait ressentir la même sensation pour passer l'étranglement qui menait à la vie et elle songea que les proies du python mouraient de manière similaire à leur naissance. Elle caressait de ses bras libres les douces écailles qui lui faisaient du bien. Plus le python l'enserrait plus elle se sentait aimée. Pourtant, lorsque la pression devint trop forte et qu'elle entrevit les limites de l'asphyxie, elle se demanda si son amant redoutable eût été capable de l'éteindre, pour de bon, d'une ultime contraction de son étui de cuir écaillé. Elle ne prit pas le risque de le savoir, elle saisit la tête de l'animal et en serra le cou. Le reptile comprit immédiatement et se délova du corps tiède et pâle d'Anna, lui rendant son souffle et sa liberté. Depuis leur première union clandestine, Anna et le python se livrèrent régulièrement à ces accouplements étranges. Elle n'osa jamais avouer à quiconque ce plaisir équivoque dont elle ne pouvait se passer. *** En descendant les centaines de marches déroulées le long du grand escalier, Arthur s'enfonçait dans une soirée d'été à la chaleur persistante. Un instant surplombant le vieux quartier, puis s'insinuant dans les ruelles aux pavés ternis, il traversait par moment des parcelles d'air chaud chargées des odeurs de cuisine des restaurants en pleine effervescence. Ce soir là, le quartier était assiégé par les touristes et les quelques habitués qui n'avaient pu quitté la chaude étreinte de la ville. Les familles et les couples enlacés flanaient le long des terrasses bondées et des vitrines encore allumées, et de fait, Arthur devaient suivre un chemin tortueux pour se rendre au "zoo", son bar préféré. Il admirait au passage les jolies estivantes qui découvraient les immeubles anciens. Le regard brûlant sous leur hâle doux, elles étaient affublées de tenues extravaguantes que la bienséance leur interdisait de mettre, hormis durant ces périodes d'oisiveté. Des poignées de jeunes étaient réunis autour de leurs lourds sac à dos, au pieds des nombreux escaliers qui irriguaient la colline. Ils temporisaient, évaluaient, soupesaient les diverses possibilités d'hébergement que la ville et leur bourse d'étudiants nécessiteux leur autorisait. Arthur pouvait sentir le pouls de la ville battre à un rythme empressé, à la recherche d'un équilibre, d'une respiration fraîche et régulière. Malgré l'heure avancée de la soirée, des gouttelettes de sueur s'écoulaient sur son visage, adoptant un compromis sinueux entre la gravité et les infimes aspérités de sa peau. Il s'épongea une dernière fois le visage avant de pénétrer dans le long boyau de pierre qui menait à la salle enfumée du "zoo" et précisa au patron en passant devant le comptoir : Comme d'hab'. OK Arthur. Quelle foutue chaleur ! répondit-il commerçant. Il repéra une table libre, dans le fond de la salle et s'y installa en attendant sa boisson. Les murs exhibaient de nombreuses espèces d'animaux sauvages empaillés, installés derrière des vitrines dont le contour inférieur portait leur nom, gravé dans le bois sombre, à peine visible. Les bêtes étaient mises en valeur par un éclairage oblique qui leur conférait des attitudes menaçantes et crépusculaires. Les plafonds voûtés et garnis de pierres apparentes ménageaient peu d'espace et semblaient plaquer au sol les habitants de cette arche de Noé. On pouvait craindre à tout moment le réveil des monstres silencieux, tapis dans leurs observatoires de verres. Ce lieu étroit et encombré, cette sorte de ventre inquiétant de la nature émerveillait Arthur. Lorsqu'il s'ennivrait, l'expression des fauves, hostile en début de soirée se muait en sourires carnassiers. Les poissons devenaient des sirènes, les oiseaux se transformaient en anges et les grands serpents ressemblaient aux jambes de Pythona. Il avait remarqué que les clients du bar choisissaient souvent leur emplacement, comme guidés par un mystérieux mimétisme. Naturellement, ce dernier était pour une grande part lié aux fantaisies de l'univers imaginaire d'Arthur, mais quiconque ayant la patience et la faculté d'observation suffisantes, pouvait découvrir des points communs entre les êtres attablés et les êtres empaillés. La table surmontée du présentoir des oiseaux accueillait souvent des groupes piaillants, composés de pipelettes rieuses et jacassantes, ou encore de jeunes coqs démonstratifs. Il n'était pas rare de voir de vieux baroudeurs laconiques à la table du loup et des céatures à la brune beauté, souples et silencieuses, dérouler leurs hanches félines vers la table de la panthère noire. La serveuse déposa un grand verre sur la table d'Arthur, légèrement évasé en haut et étincelant d'une multitude de goutellettes de buées, obstinément accrochées au récipient frais. Il posa sa main droite sur le verre glacé et contempla la démarcation entre la mousse dense et laiteuse et le liquide obscure, d'une teinte sombre et uniforme. Il inclina le verre et la calotte de mousse onctueuse se hasarda au delà du rebord mais resta solidaire. En ramenant son verre à la verticale, la langue blanche tremblota légèrement avant de recouvrir la masse opaque et stagnante, enracinée au fond du verre. Au "zoo", on servait la Guinness comme Arthur l'aimait : elle conservait sa coiffe blanche et rassurante jusqu'à ce qu'on l'ait bue entièrement. Il engloutissait les verres rapidement, encouragé par l'envie de se rafraîchir, d'évacuer cette transpiration qui l'agaçait. Lorsqu'une femme lui plaisait, il avait pour habitude d'engager la conversation, accoudé au bar, juché sur les hauts tabourets. Mais ce soir, il n'avait pas le courage de bouger, il buvait simplement, d'un plaisir machinal et désintéressé. Pourtant, alors que son nez commençait à tomber au fond de son verre vide, une voix lui dit : Vous permettez ? Oui, oui, prenez la chaise, répondit-il surpris à une grande et belle femme brune qui affichait un sourire calme. Mais je voulais m'installer ici, dit-elle un peu embarassée, enfin si celà ne vous dérange pas, reprit-elle en déposant deux pintes de Guinness sur la table. Elle en poussa une vers Arthur. Non, non, pas du tout, bien au contraire ! je n'ai pas souvent l'honneur de siroter des bières en si charmante compagnie. Merci, dit-elle en ne pouvant dissimuler sur ses joues diaphanes un voile rose dû à la flatterie d'Arthur. Mon nom est Anna. Moi, c'est Arthur, déclara-t-il en souriant d'un air stupéfait et béat que son ivresse éternisait. Eh bien ! trinquons à la splendeur des animaux qui nous entourent ! Arthur ! lança-t-elle enjouée. Soit, dit Arthur hilare, feignant d'accepter l'invitation à contre-coeur. Il remarqua en approchant le verre de ses lèvres, que la pureté de la mousse blanche était parcourue d'une sinuosité, une empreinte de reptation. Chacun avait ces manies et ces jeux, et beaucoup aimaient tremper leur doigt dans la mousse de la Guinness afin de la décorer, de la personnaliser. Une auréole d'écume persista sur le pourtour de sa bouche, après qu'elle eut bu les premières gorgées. Avec une rapidité saisissante, elle balaya la mousse de ses lèvres, de deux coups de sa langue agile et furtive. Anna toisait Arthur d'un regard doux mais étrangement froid, soutenu par des yeux étirés, des amandes d'un bleu sombre et tranquille. Je travaille au parc zoologique de la ville, déclara-t-elle. Ah bon ! très intéressant, ce n'est donc pas très étonnant que vous fréquentiez ce bar. Et vous faites quoi au zoo ? enfin... celui où les animaux sont vivants, je veux dire. Eh bien, je suis vétérinaire, je soigne les animaux, je les nourris et je les aime, résuma-t-elle. Tout en causant, Arthur détaillait cette compagne inattendue. Elle était plutôt à son goût. L'écume sombre de sa chevelure déferlait sur ses amples épaules rondes et caressait une poitrine vaste et tendue, soulignée par un body noir largement décolleté. Il pensa, le regard perdu dans ses seins, aux deux facettes de la Guinness. Il fut intrigué par un minuscule pendantif, niché au creux des rondeurs blanches et satinées. C'était un serpent argenté dressé sur sa queue enroulée qui observait Arthur d'un rictus chargé de haine. Quel beau métier ! s'émerveilla Arthur. J'ai remplacé mon père, j'ai été entourée de tous ces animaux depuis toute petite, alors on s'attache, vous comprenez... Elle regardait par intermittence derrière Arthur, vers le haut sur la droite. Merci pour la bière en tous cas ! continua Arthur en tendant son verre pour l'entrechoquer à nouveau avec celui d'Anna. Je ne vous ai jamais vue ici, reprit-il. C'est la première fois que je fréquente ce lieu, mais c'est extra ! j'y reviendrai pour faire de nouvelles connaissances... Les regards furtifs se renouvelaient, de plus en plus rapprochés, de sorte qu'Arthur remarqua son manège, mais n'en fit cas. Il savait simplement que dans la direction où Anna égarait ses yeux, un énorme serpent constricteur était enroulé autour d'une branche d'arbre. Outre sa taille, les dessins écaillés de sa peau, subtil mélange de cercles clairs et de tâches brunes, fascinèrent Arthur dès la première fois qu'il le vit. Il avait estimé sa longueur à au moins six mètres et aimait s'installer aux tables environnantes, même si ce soir il s'était assis près du reptile parce que c'était le seul coin où une table demeurait libre. Que faites vous dans la vie ? l'intérogea Anna, se dandinant lentement sur sa chaise, les yeux remplis d'un sombre éclat. Je dessine des bandes dessinées, des B.D si vous préférez... Ouah ! mais c'est épatant ça, s'exclama-t-elle en accélérant son dandinement et en glissant les bras vers son verre de sorte qu'Arthur ne s'aperçut qu'elle l' avait saisi que lorsque ses lèvres y plongèrent et engloutirent de longues gorgées. Ça me permet de vivre modestement, précisa-t-il prosaïque. Et que racontent vos BD ? le questionna-t-elle. Les aventures d'une femme aux moeurs étranges, mais elles perdent tout leur intérêt si on les raconte. Il vaut mieux les lire, dit Arthur. Il sentit une pression froide et douce autour de sa nuque, et se retrouva tout près des amandes bleutées. La grande femme brune siffla entre ses lèvres au creux de son oreille : " Je vous offre une autre bière et vous me faites voir vos BD, c'est d'accord ? " Ça marche, répondit-il, ravi qu'elle fît les avances à sa place, si je comprend bien, vous m'invitez chez moi ! Les bras d'Anna libérèrent la nuque d'Arthur et regagnèrent le bord opposé de la table d'un mouvement lent et sinueux. Seuls ses deux mains graciles restèrent visibles sur le bois couleur d'ébène. Elle inclina ensuite son visage à la renverse, et sa poitrine imposante fut secouée d'un rire paisible et régulier, pareil à une respiration de grande amplitude que seule le son de sa voix rendait rassurant. Elle se leva et Arthur put la voir s'éloigner vers le comptoir, vêtue d'une peau de serpent qui enserrait ses longues jambes s'épanouissant vers des fesses musculeuses aux surfaces denses. Arthur pensa que ce pantalon ornait les ondulations de ses hanches d'une beauté reptilienne, froide et insidieuse. Il mourait d'envie d'assister à la mue de cette seconde peau qui libèrerait de vastes étendues douce et moelleuses. Anna revint avec les bières, sous le regard concupiscent d'Arthur. Il évalua sa taille à plus d'un mètre quatre vingt. Elle semblait avancer vers lui en soulevant à peine les pieds. Ses larges hanches glissaient, ondoyaient, s'enroulaient, se déroulaient, dans un flot continu et puissant de langueur et de chair. Ils mirent leurs nez et leurs lèvres dans leurs bières, et Anna enveloppa Arthur de la lueur bleutée de ses yeux. Pourquoi êtes vous venue à ma table tout à l'heure ? demanda Arthur encouragé par l'ivresse. A vrai dire, cela peut vous sembler étrange, mais c'est un peu pour lui, dit-elle doucement en indiquant d'un signe de tête le python lové autour de sa branche. Ces animaux vous intéressent ? pouah ! dit Arthur en prenant un air dégouté. Vous êtes bien la première femme que je rencontre qui ne les redoute pas, enfin... presque. conclut-il en pensant à Pythona. C'était un beau spécimen de Python, déclara-t-elle en connaisseuse. Il devait être capable d'étouffer sans problème un homme de petite corpulence, dit-elle, alors que les jambes d'Arthur furent au même moment enlacées fermement sous la table par la peau de serpent. Les fines amandes ne laissaient plus passer qu'un mince filet bleu qui glaçait le sang d'Arthur. Ce dernier se dégagea de ce regard qui le paralysait et récupéra ses jambes. Ce pantalon vous va comme une seconde peau, se hasarda Arthur. Je suis contente qu'il vous plaise, siffla-t-elle dans un souffle. Vous avez remarqué, les teintes sont les mêmes que celles du grand python qui est derrière. Elle déroula une de ses jambes et montra sa cuisse longue et épaisse à Arthur qui commençait à être sérieusement excité par l'intriguante beauté de cette femme. Allons chez moi, dit Arthur qui avait hâte de saisir à pleines mains ce corps débordant de promesses. Quelque chose me dit que mes BD vous plairont... La remontée des grands escaliers qui menaient chez Arthur fut aisée et rapide. Anna, largement plus grande que lui, lui entoura étroitement la taille de son bras droit, de sorte que celui-ci n'avait qu'à lever les pieds pour franchir les marches, hissé d'autorité par sa compagne qui semblait plus fringante. Comme l'instant d'avant dans le bar, les grandes cuisses progressaient par de lentes ondulations que le poids même d'Arthur ne paraissait pas troubler. L'ascenseur exiguë ne laissa plus assez d'espace entre Arthur et Anna, et ce dernier fut enlacé en un clin d'oeil par les bras de la grande fille qui avait débarqué à peine une heure plus tôt à sa table. Une bouche béante se colla à la sienne, et une langue fraîche et agile la parcourut. L'ascenseur s'était immobilisé depuis quelques secondes et Arthur était toujours fermement maintenu par Anna qui caressait tranquillement son visage d'un souffle régulier. Voilà mon chez moi, dit Arthur après s'être échiné sur la serrure qu'il eut du mal à ouvrir de ses gestes approximatifs. Où est-ce que tu travailles ? Dans la pièce voisine, c'est la plus agréable, on y domine la ville. Mais tu iras tout à l'heure, je pense que nous avons mieux à faire dans l'immédiat. Le cerveau d'Arthur était érodé par l'alcool. Il estimait pouvoir éluder des préliminaires qui l'auraient endormi à coup sûr bien avant qu'il ait ôté le dernier de ses vêtements. Etendu, nu sur le lit tiède, il se délectait du spectacle offert par Anna. Sans jamais le quitter des yeux, elle enlevait sa seconde peau en s'aidant de lents louvoiements de son corps abondant. Au comble du désir, Arthur écarquilla les yeux, lorsque les deux cuisses, grands muscles soyeux, jaillirent, doucement libérées, de leur parure de cuir. Anna le laissa parcourir un instant les dômes de ses seins, puis elle glissa promptement ses bras sous sa nuque et le redressa. L'instant d'après, il se retrouva, pantin assis et dérisoire, enchaîné entre ces jambes à la divine texture qui avaient saisi son corps à une vitesse foudroyante. Ainsi étreint, entouré d'une chaleur exquise et enveloppante, Arthur n'eut plus pour seul liberté que de se laisser engloutir par le ventre d'Anna qui vint rapidement à bout de sa proie expirant dans un torrent d'agonie. La ville s'éclaira devant Anna, et dans le grincement de la porte elle dévoila les joyaux intimes de sa nuit d'été. Le ronflement d'Arthur était à présent à peine perceptible, atténué par la cloison et la porte fermée. La pièce où il dessinait était vitrée sur un de ses côtés, sur l'autre étaient posés deux grands chevalets qui soutenaient des planches apparemment récentes et sur le troisième mur figurait une grande femme dont la ressemblance avec elle, frappa Anna. C'était une vignette de BD agrandie : elle courait, un drap sur les épaules, avec un homme à ses trousses, probablement une sorte de flic, trahi par sa tenue. Ce dernier hurlait ces mots dans une bulle : " Je finirai par te coincer Pythona ", alors que la femme pensait avec un sourire diabolique : "A moins que ce soit moi qui te coince définitivement petit homme". Anna contempla la ville un instant, puis elle étala les planches de la maquette sur le sol, devant elle. Elle reconnut l'immense et belle femme, Pythona, sur plusieurs dessins. Certains d'entre eux captivèrent son attention. Les yeux de Pythona étaient remplacés par de fines meurtrières, sa langue était fourchue et son abdomen était prolongé par le corps d'un Python. Intriguée, elle lut avec attention les vignettes sur lesquelles figurait la femme-Python. Anna constata que chacune de ses apparitions était précédée d'ébats amoureux entre Pythona et ses partenaires. Puis, alors que les hommes s'abandonnaient, au sommet de leur jouissance, une singulière métamorphose s'opérait : les cuisses de Pythona se couvraient d'écailles, se fondaient et s'allongeaient en un long et épais corps de serpent qui s'enroulait autour de son amant qu'elle maintenait serré dans ses bras, anesthésié de plaisir. Alors, posant sur l'homme emprisonné, son regard froid et reptilien, la créature étrange entreprenait d'enserrer son partenaire paralysé des jambes jusqu'aux épaules, d'une longue et croissante étreinte. Plus les énormes et redoutables anneaux resserraient leur effort autour de l'homme, plus la créature mutante s'élevait vers un plaisir charnel, absolu et incontournable. Et lorsque le partenaire passif, à la merci de ce corps qui le pressait puissamment etait sur le point de suffoquer, la femme-python jouissait d'un plaisir macabre de toutes les parcelles de son corps qui engloutissait les hommes. La malheureuse victime expirait alors sous les derniers spasmes des replis de ce sexe gigantesque qui lui transmettait une ultime respiration forcée et mortelle. L'orgasme aussitôt consommé, Pythona retrouvait ses esprits et ses sublimes jambes avant de s'enfuir, éprouvée par cette étreinte fatale. Le flic la repèrait souvent, trahie par sa grande silhouette dénudée, empressée de rejoindre sa cache. Anna sentait son corps s'emplir progressivement de fourmillements étranges, sensations qu'elle n'avait jusqu'alors jamais éprouvées. Elle remarqua que sa main était humide et exhalait le parfum sauvage du berceau de ses cuisses : elle s'était caressée durant sa lecture. Les fourmillements se muèrent en picotements plus aiguës, une excitation naissante à fleur de peau qu'elle ne contrôlait plus, il lui semblait que la peau si familière de son python, qui lui prodiguait de longues et agréables étreintes la recouvrait, que chaque picotement se transformait en une écaille, réceptacle à la sensibilité extrême qui ne demandait qu'à se coller, à épouser une chair étrangère. Tout son corps était tendu à présent vers le plaisir, couvert de sueur. Ce qu'elle ressentait l'effrayait. Elle se leva, essaya de penser à autre chose, de regarder la ville, d'enfouir ses pensées, de les assimiler aux scintillements de la ville, mais non, ces derniers devinrent des picotements, les dessins du python. Son cerveau la projetait dans ses unions avec son reptile, son corps paraissait fondre, les écailles pénétraient dans sa peau moelleuse, elle frissonnait, étouffait, enserrait le sexe d'Arthur, elle ne voulait faire qu'un avec le python, pouvoir l'aimer, l'enserrer à son tour, lui rendre ses longues heures d'enlacement immobile. Elle se caressa le corps, il était froid, tremblant, avide, possédé par l'envie souveraine d'un plaisir enroulé, lent, qu'il pourrait mener à sa guise. Depuis le début de ses unions ambiguës, elle désirait partager les sensations du python, mais ce soir, c'était son propre corps qui l'appelait, l'encourageait d'une pulsion irrésistible, à satisfaire la soif de sa peau. Le regard troublé par le désir, les jambes tremblantes, elle ouvrit la porte qui séparait les deux pièces. Elle pouvait voir son ombre projetée sur le mur par le pinceau de lumière de l'embrasure, immense et en reptation, prête à fondre sur le corps de l'homme endormi. Elle soupira d'un bien-être dément lorsque ses jambes et ses hanches furent gainées, pareilles à deux énormes serpents, souples, denses et vigoureuses. Son torse nu couvrait le lit de sa clarté laiteuse, alors qu'elle caressait les écailles lisses de son pantalon aux motifs indécis. Elle s'assit tout d'abord près d'Arthur, afin d'éprouver la profondeur de son sommeil, puis elle s'allongea sur le côté pour glisser une jambe sous ses reins, et abaissa la deuxième sur son abdomen avec une inexorable lenteur, de sorte qu'après un méticuleux ajustement du piège de ses cuisses, presque aussi épaisses que le torse d'Arthur, il fut absolument ceinturé, le ventre noyé, dans le glissement maintenant achevé des immenses muscles gainés de cuir. Arthur gémit de bien-être dans un demi-sommeil, alors qu'Anna l'entoura également de ses bras, en écrasant les doux oreillers de sa poitrine sur son flanc. Il pensa qu'il rêvait, qu'il partageait sa nuit avec Pythona et qu'elle allait bientôt entamer sa lente métamorphose et l'enserrerait comme dans ses envies secrètes. Il sentit bientôt sur son ventre la douce et ferme pression charnelle, accentuée par le contact du cuir tendu, alors que de longs bras lui entouraient les épaules. Anna était à présent enroulée étroitement, autour de ce corps captif à la respiration accélérée par le plaisir. Elle commença alors, comme lui faisait le python, à resserrer tranquillement son étreinte, prenant tout son temps. Le corps d'Arthur lui paraissait délicieusement vulnérable à la merci de ses cuisses nouées. Il se réveilla, douloureusement gonflé de plaisir et réalisa que ce n'était pas un rêve. Il se demanda comment cette inconnue avait pu sonder les recoins de ses fantasmes, mais se contenta de lui adresser un regard reconnaissant avant de gémir à nouveau, ne pouvant intérioriser le bonheur transmis par l'enveloppe de chair qui le pressait, cherchait à le rendre plus dense, à l'incruster dans la jouissance. Anna pensa à la frustration du python, lorsqu'elle lui intimait l'ordre de la relâcher, elle ne pouvait desserrer son étreinte, ses cuisses à la force pour l'instant encore contenue affolaient l'univers de ses sens. Elle sentait son corps tout entier devenir un muscle énorme et puissant, capable de plonger Arthur, enchaîné par ce galbe glouton, dans un plaisir vertigineux. Son espace se réduisait maintenant, mais le champ de ses sensations s'étendait, sans limite. On l'aimait, on s'accrochait à lui avec une bouée gonflée à bloc et solidement arimée. Il pouvait voir les hanches voluptueuses reluire dans la demi-obcurité, transmettant toute la douceur et la force qui l'écrasait. Son corps jaillissant de cet étau de pulpe lui semblait tellement faible et impuissant... La pression des cuisses l'éleva vers l'extase, toujours plus forte, transformant leurs deux corps en un amalgame de chair entrelacée. Anna sentit à l'intérieur de son corps lové, les convulsions du plaisir qu'évacuait l'otage de ses hanches. celui-ci réalisa alors, remarquant les traits d'Anna envahis d'un bonheur sensuel, qu'elle était en train à présent, de l'empêcher de reprendre son souffle. Il essaya de bouger, de se débattre, mais c'était vain. Ses bras même étaient emprisonnés par cet entrejambe tout puissant, bandé de toute sa sombre énergie, vers une issue qu'Arthur connaissait trop bien. Un rideau opaque descendit devant ses yeux, et il se mit à hurler de terreur, mais cela ne fit que conforter Anna dans sa sinistre détermination et sa jouissance croissante. Elle soulagea légèrement pour un bref instant, l'abdomen d'Arthur, afin de déplacer, ses cuisses glissant sur le corps prisonnier, son étreinte vers les poumons. Elle enserra également la tête de son amant, et l'écrasa sur son immense poitrine gonflée, de sorte que les cris furent à présent sourds et à peine perceptibles. D'ailleurs ils rapprochaient encore plus vite Arthur de l'étouffement, gaspillant de précieuses gorgées d'air. Alors, Anna allongea ses jambes de manière à prendre appui sur le noeud de ses chevilles, et le foureau formé de sa croupe et de ses jambes, entama une lente respiration, un reserrement absolu de ses cuisse gorgées de plaisir alternant avec un court semblant de répit. Du plus profond de ses instincts, elle sentit monter des ondes gigantesques, chaudes, inéluctables, déclanchant ses constrictions qui s'accéléraient jusqu'à ne devenir qu'une vague qui engloutit toutes les précédentes et déferla durant de longues secondes ; l'étreinte atteignit alors un paroxysme terrible et les deux corps furent secoués d'une ultime crispation, d'un dernier spasme d'abandon et d'agonie. Anna reprit conscience et hurla en libérant le corps inerte : Mon Dieu, mais qu'ai-je fait ! *** Quelques jours plus tard, on put apercevoir au "zoo", une femme de grande stature, attablée avec un homme de petite taille. Elle était vêtue d'un pantalon en peau de serpent, étroitement ajusté, et sa longue chevelure brune planait au-dessus de deux verres de bière fraîche et sombre. L'homme pressé 18