Chronique de *Nathalie Gassel pour Athéna 2 *Auteur D’Eros Androgyne. Journal d’une femme athétique .(Editions Acanthe – juin 2000) Lorsque le muscle se durcit c’est que le plaisir nous a dicté cette conduite qui a commencé par être une aspiration au volume du muscle, une poésie continuelle de la chair. Le corps se met dans cette situation où il est vu, ou il est communiqué, donné en spectacle (même dans des vêtements). Il s’agira d’être en union avec l’image que l’on veut donner de soi. Il y a la torpeur, la chaleur foncée du corps au-dedans. Et les étreintes, les autres corps qui sont contre les muscles comme s’ils pliaient, comme s’ils cédaient à la moiteur chaude, au sang vivifié de l’athlète ; au sang mythique de la bête de proie. Le corps lourd de la bodybuildeuse tombe sur son bien aimé et n’en fait qu’une bouchée. Les muscles se contractent puissamment autour de la victime illuminée de cette joie étrange et séduisante d’être capturée, hypnotisée, en même temps qu’hypnotisante. Et la force donne tout son impact et dans l’épaisseur de ses entrailles, jouit de sa proie mise à sa disposition, comme dans un bal où des matières fléchiraient devant d’autres. L’athlète soulève son partenaire, le retourne, le plie, en veillant à ne pas le casser, et son corps est tout à la joie de son épaisseur, de sa vibration, est toute attention jouissive de sentir ses propres contractions, d’entendre dans son muscle la vie, la puissance en action, le pouvoir, l’impact matériel d’un corps sur un autre, d’un être sur un autre et « en » jouissance de l’autre. Et ainsi de renouer avec une sensation ancestrale, obscure, en deçà de la conscience, comme un mouvement primordial. Nous sommes dans le vertige des vérités concrètes, des vérités de chairs et nous nous retrouvons dans la transe de la vie comme dans un combat acharné. À ce moment, me revient l’image de l’époque où je boxais, où tout était obsessionnellement tourné vers le corps. Les rues étaient des possibilités de combats, j’étais moi-même et avant toute chose, un corps qui attendait de se battre. Il était dans sa tension celui qui voulait porter les coups. Il était traversé de cette passion. Les nuits étaient noires où j’attendais aux encoignures des portes que me vint cette aventure. Je ne lui connaissais nul alibi, ce n’était pas un idéal moral mais du corps une joie ascétique, une joie à la rudesse et barbarie qui dégage une ivresse de vivre. Tout me semblait ouvert à l’exaltation à laquelle chaque muscle, chaque lieu où la force se crispe, voulaient participer. Tout remuait d’une joie souterraine. Tout s’éclairait du dedans des choses. Il se clamait une obscure jouissance. Elle tremblait de désir cette jouissance. C’était le règne de la matière vivante, animée. Puis, rien, le vide et les corps reprenant leurs formes civilisées. Dans mes muscles veille le désir ancestral (exalté lors de mon entraînement, parce que le muscle est alors plus fort, plus solide, plus coriace). Dans la force il y a la vie, l’ existence de plain-pied dans la volupté de l’être et lorsque la puissance est présente en moi, elle décuple la jouissance et le besoin vital d’exultation. Dans l’entraînement sportif, il y a toujours l’euphorie du muscle : par exemple, la masse noueuse des biceps qui donne l’apparence d’une boule se contractant pour se resserrer sur elle-même, cela nous transporte de ferveur. Lorsque l’haltère est tenue dans la poigne de la main et cette main ramenée vers l’épaule en contractant la boule du biceps, c’est aussi la pression du sang, l’explosion intérieure des fibres qui se dilatent : là aussi une joie intense du corps par le biais métaphysique de la puissance. Il monte dans la chair ce que devait être la sensation des anciens seigneurs, la sensation d’une hauteur, la faculté du pouvoir. Les barres olympiques, c’est pour ça qu’on les manie ; comme des épées, comme des armes à se bâtir le statut d’un corps conquérant. Un triomphe pour la chair que cette musculature. Au sein de cette jubilation, nous mirons notre travail d’orfèvre, la stature imposante de nos beaux muscles reflétés dans les miroirs de la salle de musculation. Nous nous voyons comme des guerrières de parades, n’en gardant que la loi esthétique et la pure virtualité. Une dérive de l’imagination rayonnante dont il faut garder le phantasme érotique. Le corps ainsi fabriqué, n’est pas un corps à vocation sociale mais un corps qui aura durant des années visé son auto-érotisme et assouvit celui-ci : être pour lui-même, à ses propres yeux, objet de jouissance. Cette jouissance se ramène à une impulsion plus générale, plus profonde encore dans les viscères, cantonnant l’énergie forte dans le vide organique de son érotisme. Le corps se voue entièrement à être cette parade de muscles qui plaident son succès avec lui-même. La force en éveil, le muscle garant du plaisir d’être soi, quelque chose se dresse dans une fierté d’acier, quelque chose du désir voluptueux de puissance. Alors l’entraînement devient fougueux, ardent, la crispation d’une volonté tenace s’acharne sur l’acier des poids à lever, multiplie dans la sueur (sueur et acier, beau mariage esthétique) les exercices. Et gonfle, gonfle, gonfle, se concentre, se centre entièrement sur la sensation de l’engorgement. Sur le plaisir du sang qui afflue, de la puissance qui grimace. Notre esprit est traversé de tas d’images qui relatent tout au long de l’histoire humaine des moments mémoriaux où des corps furent dans cette même jouissance du pouvoir. Notre corps se tourne entièrement vers la conscience de son impact sur les matières avoisinantes. On peut dire de mille-façons comment, dans sa dureté, le corps produit la jouissance de sa force, comment il ne cesse d’être celui qui à travers la masse musculaire est en pleine joie et possession de tous ses moyens. Et dans la fougue de l’enthousiasme qui repose sur sa puissance. On pourrait multiplier les descriptions de corps, le poétique. On pourrait à l’infini, dire et redire la joie que l’on prend à la suprématie ; à posséder les attributs du pouvoir. À les posséder dans la tête, dans les actions et dans le corps. On peut aussi dire quel usage en est fait, quel impact sur autrui. Le plaisir et puis la réaction, l’envie, le désir érotique des autres. Le désir qu’ils manifestent de goûter à cet impact de l’autre côté de la barrière du pouvoir. De le sentir les contraindrent. Sans raison. Par caprice de jouissance. Dans la gratuité d’actes où des corps s’affrontent. Dans ce face à face, il se manifeste la volonté d’être, la vie. Ce qui établit notre identité comme valeur d’expansion. Et puis, au-delà de ça, il y a le dépassement, la reconnaissance de l’autre, l’appréciation de celui qui s’est donné, la revalorisation des énergies complémentaires, la grâce du plus faible ; après l’errance, l’amour véritable. La vie en nous à besoin que l’on fasse montre de soi, et faire montre de soi, c’est faire étalage de ce que l’on peut, de ce que l’on veut, donc aussi de la volonté qui prend corps dans notre chair. De celle qui s’exprime par le pouvoir de l’action. Et puisqu’il est présent dans la vie d’une athlète, par le pouvoir du muscle, de l’excitation du muscle, de son désir. De sa dureté, de sa sécheresse, de tout ce qui en lui, crée l’appétit d’un autre corps, et finalement, s’émeut de ce corps comme objet et don de jouissance.